La violence banale : une lente réintroduction par la parole politique

Pour comprendre comment un adolescent en est venu à poignarder une surveillante dans un collège en Haute-Marne le 10 juin 2025, il faut envisager l’histoire récente, la manière dont la violence a peu à peu été réintroduite, non seulement dans les comportements, mais aussi dans la parole politique qui structure notre société.

La violence dans l’espace public, et plus encore à l’école ou dans les institutions, n’est pas née du hasard ni d’une fatalité soudaine. Pour comprendre comment un adolescent en est venu à poignarder une surveillante dans un collège en Haute-Marne le 10 juin 2025, il faut envisager l’histoire récente, la manière dont la violence a peu à peu été réintroduite, non seulement dans les comportements, mais aussi dans la parole politique qui structure notre société.

Acte 1 : Le déclencheur d’une parole décomplexée — 2008, « casse-toi pauv’ con »

Pour saisir ce tournant, il faut revenir à une scène simple, mais lourde de sens. En 2008, lors du Salon de l’agriculture, Nicolas Sarkozy, alors président de la République, s’adresse à un visiteur qui refuse de lui serrer la main. Ce dernier entend l’insulte : « casse-toi pauv’ con ».

Jusqu’alors, la parole présidentielle respectait une certaine retenue. L’institution imposait une distance, un cadre qui empêchait l’expression de la violence verbale dans le champ public officiel. Cette phrase, brève, déchirante, rompt avec ce principe. Elle introduit une forme de brutalité dans l’espace politique et symbolique qui ne s’y était jamais réellement imposée.

Cette insulte n’a pas seulement choqué parce qu’elle venait du président, elle a signifié que les règles du jeu avaient changé. La violence, jusque-là contenue aux marges de la société, s’installait dans le cœur du pouvoir.

Acte 2 : Quand la violence physique traverse les murs du Parlement — 2017, l’agression de Boris Faure

Neuf ans plus tard, cette banalisation progresse. L’agression physique entre élus dans marque un nouveau palier. En juillet 2017, M’jid El Guerrab frappe Boris Faure avec un casque.

Cet événement est révélateur : le Parlement, qui devrait être un lieu de débat et d’échange, voit apparaître la violence corporelle. Ce n’est plus seulement une parole débridée, mais un acte physique qui traverse l’espace institutionnel. La brutalité s’extirpe des marges pour entrer dans les lieux symboliques de la démocratie.

Ce passage de la violence verbale à la violence physique dans un cadre officiel est lourd de conséquences. Il entérine une nouvelle norme, et légitime à son tour l’agression comme un mode possible d’expression.

Acte 3 : La montée en puissance du Rassemblement National et la banalisation des propos violents — 2023-2024

Dans les années qui suivent, l’installation du Rassemblement National dans le paysage politique exacerbe cette dynamique. Les élus de ce parti utilisent fréquemment des propos agressifs, racistes, parfois haineux, que la justice et les instances parlementaires sanctionnent rarement de manière significative.

L’affaire du député Laurent Jacobelli, poursuivi pour outrage et injure envers un collègue en 2024, en est un exemple précis. Ce procès illustre que les insultes et agressions verbales se multiplient et sont tolérées, voire attendues dans certains milieux politiques.

Le résultat est une banalisation progressive. Ce qui aurait été considéré comme inacceptable il y a dix ans devient un comportement courant. Cette normalisation a un effet de contagion dans la société, où les tensions et les affrontements se multiplient.

Acte 4 : Le rôle des réseaux sociaux dans l’extension de la violence verbale

Il est important de souligner que cette escalade ne s’arrête pas aux murs du Parlement. Les réseaux sociaux jouent un rôle clé dans la diffusion massive des discours agressifs.

Ces plateformes, par leur nature, encouragent souvent l’exacerbation des émotions et la virulence. Le sentiment d’impunité ou d’anonymat facilite les insultes, les menaces, et parfois même les appels à la haine. Ce climat dégradé s’étend rapidement, touchant toutes les couches de la population, notamment les jeunes, qui y sont particulièrement exposés.

Cette circulation accélérée des propos violents contribue à rendre la violence banale, acceptable dans les interactions sociales.

Acte 5 : La violence mortelle s’invite dans le quotidien — 2025, les agressions qui choquent

Enfin, la dernière étape, visible et tragique, est le passage à la violence physique, parfois mortelle, dans la vie de tous les jours. Les faits divers récents, tels que le meurtre de Louise en Essonne en février 2025 ou l’agression au couteau de Mélanie en Haute-Marne en juin 2025, ne sont pas des explosions soudaines de violence.

Ils sont la conséquence d’un long processus, d’une montée en puissance de la violence dans les discours, dans la manière dont la société tolère ou refuse d’intervenir contre certains comportements.

Cette escalade révèle que la violence est une construction sociale, façonnée par la parole et les actes des responsables politiques. Leur responsabilité est immense, car ce qu’ils expriment ou laissent passer modifie les normes collectives.

Il ne s’agit pas seulement de condamner des actes isolés, mais de comprendre que pour protéger la société, il faut rétablir une parole publique respectueuse, qui pose des limites claires à l’agression, dans le langage comme dans les comportements.

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