Une gifle et tout vacille

En déplacement au Vietnam, Emmanuel Macron est giflé par son épouse. Une scène brève, reprise par les réseaux. D’un geste, un trouble. Il est donc légitime de se demander ce que cette séquence engage.

Le scandale d’un geste non conforme

Dans l’espace public, les corps ne se valent pas. Une femme qui gifle un homme, surtout s’il est chef d’État, ne produit pas les mêmes effets symboliques qu’un homme qui giflerait une femme. Non parce que la violence serait différente, mais parce qu’elle déjoue les représentationssociales ancrées dans des siècles de domination masculine.

Ce n’est pas la gifle en elle-même qui est inédite : c’est son adresse. Si l’image frappe, c’est qu’elle bouleverse une structure implicite du pouvoir, où l’homme est supposé dominer, contenir, incarner la maîtrise. Ici, au contraire, c’est une femme qui exerce la violence — même symbolique — sur une figure masculine d’autorité. Cette inversion des rôles attendus produit du désordre, du malaise, et parfois, un rire nerveux (celui qu’on voit sur le visage de Macron lui-même).

Une structure de domination révélée par contraste

Ce trouble met au jour, par effet de renversement, une structure sociale habituelle : celle dans laquelle les femmes sont les victimes majoritaires, récurrentes, systémiques de violences conjugales et sexistes. Didier Fassin parle, à ce propos, d’une « politique de la vie » : certaines vies comptent plus que d’autres, certains corps suscitent davantage d’attention, de soin, d’écoute (La vie. Mode d’emploi critique, Seuil, 2018). Une gifle qui vise un homme public, célèbre et puissant, déclenche un tumulte médiatique. Les femmes anonymes, frappées, tuées, ne déchaînent pas la même mobilisation.

Ce décalage de réception n’est pas accidentel. Il est le produit d’un ordre sexuel et politique qui hiérarchise les expériences et les réactions qu’elles suscitent. Là où la violence masculine contre les femmes est banalisée, la violence féminine contre un homme détonne. Et ce qui détonne attire l’attention.

Chiffres, réalités et silence

Selon le bilan officiel du ministère de l’Intérieur, 94 femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint en 2023 en France. Le même rapport recense 244 000 victimes de violences conjugales enregistrées par les forces de l’ordre en 2022, dont 87 % sont des femmes.

Le Haut Conseil à l’égalité souligne par ailleurs que ces chiffres sont largement sous-évalués, du fait de la non-dénonciation des faits, de la peur, du déni ou de la honte. Dans un rapport de 2023, il est établi que seulement 10 % des victimes portent plainte.

Ces violences systémiques, bien que documentées, restent à la marge du débat public. Elles n’indignent plus. Elles deviennent une donnée statistique, une fatalité presque admise.

Si la gifle de Brigitte Macron trouble, c’est peut-être parce qu’elle agit comme un miroir inversé. Elle nous oblige à voir ce que nous ne voyons pas : que la violence nous bouleverse davantage lorsqu’elle touche un homme, surtout puissant, que lorsqu’elle frappe, au quotidien, des femmes que nous avons appris à ne plus entendre.

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